PRÉPARATION DES DOSES À ADMINISTRER : QUELLE RÉGLEMENTATION ?

Attendu depuis la loi HPST[1] et adopté suite à une mise en demeure du gouvernement devant le Conseil d’Etat[2]par l’Ordre des pharmaciens, le décret[3]relatif aux conseils et prestations pouvant être proposés par les pharmaciens d’officine[4]adopté en application du 8° de l’article L5125-1-1 A du code de la santé publique[5]est paru au Journal officiel du 5 octobre 2018[6]pour une entrée en vigueur le lendemain.

Si ledit décret permet aux pharmaciens de ville de proposer à leurs patients des prestations additionnelles ne relevant pas systématiquement du champ conventionnel parmi lesquelles :

  • La mise en place d’actions de suivi et d’accompagnement pharmaceutique ;
  • La prévention et la promotion de la santé ;
  • L’évaluation en vie réelle des médicaments, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique ;
  • La participation au dépistage des maladies infectieuses et des maladies non transmissibles ; ou encore
  • La participation à la coordination des soins en collaboration avec l’ensemble des professionnels de santé …

Force est de constater que la préparation des doses à administrer (PDA) n’a toujours pas bénéficié de l’encadrement règlementaire espéré depuis 2009.

Une lettre ouverte[7]des pharmaciens au Premier Ministre du 3 juillet 2018 soulevait pourtant : « Accompagnement des patients pour leur maintien à domicile, lutte contre la perte d’autonomie, dispensation à domicile, préparation des doses à administrer, adaptation au domicile, renforcement des politiques de prévention et de dépistage, déploiement de la télémédecine, évaluation en vie réelle des produits de santé… Autant de conseils et prestations que la pharmacie d’officine doit être en mesure de proposer rapidement aux patients. Rien ne doit manquer ! »

Certains ne manqueront pas de considérer que la PDA peut être incluse dans les « actions de suivi et d’accompagnement thérapeutique» susvisées, cette interprétation, plus qu’extensive de la réglementation, ne définit cependant pas le cadre dans lequel la préparation des doses à administrer doit s’inscrire.

La reconnaissance de cette partie de l’acte pharmaceutique a pourtant émergé depuis plus de trente ans.

Rappelez-vous, à l’époque, une circulaire du 30 janvier 1986[8]  faisait état de ce qu’un sous-groupe de travail, en charge de l’étude des problèmes relatifs à la dispensation des médicaments, préconisait la « dispensation du médicament (…) sous forme unitaire et individuelle ».

Près de vingt ans plus tard, un décret du 24 aout 2005[9] relatif au contrat de bon usage des médicaments prévoyait en ses articles 4 et 7 la nécessité pour les établissement de dresser un programme pluriannuel d’actions devant développer des axes de sécurisation du circuit du médicament via « le développement de la prescription et de la dispensation à délivrance nominative ».

Enfin, l’arrêté du 6 avril 2011[10] relatif au management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse et aux médicaments dans les établissements de santévenait poser l’obligation règlementaire d’identification des doses jusqu’à l’administration au patient.

Résultat des courses, aucun tiercé gagnant. A ce jour, aucun texte légal ou règlementaire ne définit ni n’encadre la préparation des doses à administrer qui, face à ce vide juridique, se développe de façon empirique, voire parfois anarchique.

Seul l’article R. 4235-48 du code de la santé publique[11], relatif à l’acte de dispensation, placé sous la responsabilité du pharmacien, y fait mention comme composante de l’acte pharmaceutique, au même titre que l’analyse pharmaceutique et la mise à disposition des informations et conseils nécessaires au bon usage du médicament.

Pourtant, la sécurisation de la prise en charge médicamenteuse des patients hospitalisés ou pris en charge en EHPAD est un enjeu crucial de santé publique. Les pharmaciens le savent, la finalité de tout circuit du médicament trouve sa synthèse dans la règle des 5B :

« Administrer le bon médicament, à la bonne dose, sur la bonne voie, au bon moment, au bon patient »[12].

A l’hôpital ou en EHPAD, ce circuit est complexe, transversal et multidisciplinaire. Les nombreux acteurs (infirmier, pharmacien, préparateur en pharmacie[13], étudiant en pharmacie[14]) sont autant de sources potentielles d’erreurs qui plaident pour une réglementation qui se devrait rassurante pour le pharmacien gérant de PUI ou responsable d’officine.

De longue date, des promesses ont pourtant été faites sans hésitation aucune : l’occasion pour tous de relire Du Contrat Social au sein duquel Jean-Jacques Rousseau nous avertissait ;

« La personne la plus hésitante à faire une promesse est celle qui la respectera avec le plus de foi »[15]

Argument d’autorité ? Que nous en apprendrait une lecture a contrario ? …

La patate, qui n’est pourtant pas si chaude, est ainsi passée de gouvernement en gouvernement, de ministre en ministre sans qu’aucun décret ne soit adopté, faute de position (ou de compréhension ?) politique clairement établie.

La litanie pharmaceutique ne semble pas prête d’arriver à son terme.

Un essai de définition, repris du projet de décret qui a longtemps circulé, pourrait qualifier la PDA comme la partie de l’acte pharmaceutique consistant en la répartition des médicaments prescrits par séquences d’administration pour un patient déterminé en procédant, le cas échéant, à une division du conditionnement, à un déconditionnement des médicaments ou à un reconditionnement, puis en leur regroupement en un unique conditionnement.

Ainsi, la PDA est l’opération qui conduit le pharmacien à déconditionner des formes pharmaceutiques en boîtes pour les reconditionner dans des alvéoles spécialement fabriquées et préparées à cet effet dans un emballage sécurisé et tracé.

 

Quel intérêt ? – se demanderont certains.

Les médicaments fournis par l’industrie pharmaceutique le sont sous forme de conditionnement standardisé, conformément à la réglementation européenne, là où les PUI et les EHPAD ont besoin de préparer des doses unitaires qui seront administrées par le personnel infirmier aux patients, conformément à la règle des 5B qui impose une délivrance « à la bonne dose ».

Cette inadéquation génère des médicaments non utilisés (MNU) de préparation qui n’ont pas vocation à être pris par le patient, là où ils lui sont parfois remis et vient donc pervertir le circuit du médicament.

Les médicaments remboursés au patient lui sont en effet délivrés sous forme de boîtes individuelles de contenance standardisée. Dès lors, les quantités délivrées sont souvent supérieures aux quantités prescrite et administrées et représentent un coût important, largement supporté par l’Assurance Maladie.

Si aucun texte n’interdit ni n’autorise expressément le déconditionnement puis le reconditionnement des spécialités sous forme de piluliers, force est de constater que de nombreuses pharmacies, qu’elles soient hospitalières ou de ville y ont recours. Pour ces dernières, le recours à la PDA s’explique par le besoin et les demandes croissantes des EHPAD.

En effet, pour les pharmaciens de ville qui ont acquis leur officine au début des années 2000 à un prix avoisinant 75% du chiffre d’affaires et ont dû faire face à la fois à l’arrivée des génériques, qui a entraîné une baisse des marges, et aux contraintes tarifaires imposées par les différentes lois de financement de la sécurité sociale, la préparation des doses à administrer pour les EHPAD demandeurs est apparue comme une activité rentable nécessitant peu d’investissement financier tant qu’elle était manuelle.

Cependant, la PDA est une activité à risque par laquelle le pharmacien, responsable d’officine ou gérant de PUI, engage sa responsabilité.

« Risques » dites-vous? Quels sont-ils ?

L’étape préalable de déconditionnement primaire (déblistérilisation) afin de permettre la dispensation individuelle nominative (DIN) est une activité à risque qui nécessiterait un encadrement législatif.

En effet, la destruction du conditionnement primaire tel que prévu par l’AMM est susceptible de générer des incertitudes relatives à la stabilité du produit déconditionné.

La responsabilité du pharmacien est alors engagée. Il devient le garant de l’identité, de la qualité et de la péremption du médicament.

Avant d’apposer la Date Limite d’Utilisation (DLU) ou date de péremption sur le conditionnement du médicament, l’industrie pharmaceutique doit préalablement réaliser des études de stabilité, notamment pour évaluer la compatibilité contenu-contenant.

Or, dans l’hypothèse du déconditionnement, la DLU apposée par l’industriel n’est plus opposable et la stabilité du produit en dehors de son conditionnement primaire n’est plus garantie.

Si l’on se place dans l’éventualité d’un accident médicamenteux, le fabricant de la spécialité pharmaceutique  pourra contester sa responsabilité prévue par la directive européenne du 25 juillet 1985[16], transposée en droit français par la loi du 19 mai 1998[17]et mettre en jeu celle du pharmacien à l’origine de la PDA pour son intervention avant l’administration du médicament au patient.

Le pharmacien pourra donc plus difficilement arguer d’une défectuosité du produit, déjà complexe à démontrer.

C’est pourquoi, lorsqu’elle est réalisée manuellement, des protocoles précis doivent être établis afin de sécuriser la procédure, de la réception de l’ordonnance, à la préparation des piluliers, en passant par l’informatisation de la prescription et la facturation, dans le cas officinal.

Afin de sécuriser le processus et assurer la traçabilité des médicaments, un certain nombre de pharmaciens a fini par opter pour des solutions entièrement informatisées et automatisées.

Présentation non unitaire, sécurisation du circuit du médicament et contraintes de productivité ont donc donné naissance et conduit à développer l’automatisation au sein des PUI et des pharmacies de ville.

Pouvant être définie comme l’exécution et le contrôle de tâches techniques par une machine sans intervention active humaine, l’automatisation permet d’intégrer des tâches chronophages à un processus automatisé, libérant ainsi du personnel pour des tâches à plus forte valeur ajoutée.

L’automate est alors interfacé avec le logiciel de prescription et son recours évite les étapes de retranscription et d’interprétation humaine, sources d’erreurs.

L’automatisation, qui tend à limiter les confusions entre les dosages, les formes pharmaceutiques ou galéniques, permet également de répondre aux exigences de traçabilité et contribue à une meilleure gestion des stocks par la diminution du surplus, des produits périmés et du coulage.

Plusieurs automates de dispensation à délivrance nominatives existent. Parmi eux, les automates de reconditionnement et les automates de surconditionnement.

Cependant, le coût de ces automates est élevé : en moyenne, cent à cent-cinquante mille euros pour un automate avec déconditionnement ; près d’un million d’euros pour un automate avec surconditionnement.

L’importance de l’investissement que commande l’acquisition d’une solution de PDA automatisée impose que soit prévue et encadrées la mutualisation de ces équipements et leur labellisation.

La préparation des doses à administrer fait partie intégrante de l’acte de dispensation. En cela, qu’elle soit manuelle ou automatisée, les pharmaciens sont les mieux placés pour en garantir la qualité et l’organisation.

Cependant, si l’on doit reconnaître aux professionnels du médicament une réelle implication dans l’évolution de leurs conditions d’exercice – la création du dossier pharmaceutique, entièrement portée par la profession nous le rappelle – les outils réglementaires confortant les actions mises en œuvre doivent leur être offerts.

Cela est d’autant plus important que la PDA recèle de nombreuses vertus, à la fois pour le patient, que pour le pharmacien et l’assurance maladie.

Pour le patient, elle permet d’optimiser le traitement, d’assurer son suivi et d’en contrôler l’observance afin de diminuer tout ou partie des risques liés à la prise du médicament. La PDA permet ainsi de renforcer sécurité et traçabilité du traitement chez les patients.

Pour le pharmacien, la PDA permet de le replacer au cœur du service pharmaceutique et renforce le rôle du pharmacien d’officine et de son équipe.

Enfin, pour l’Assurance maladie, déconditionner et reconditionner le médicament serait susceptible, par la baisse des MNU, de générer des économies d’échelle.

Si les pharmaciens n’ont pas attendu la parution du décret promis pour s’en saisir et que les instances ordinales ont accepté cette pratique de plus en plus répandue, l’adoption d’une réglementation, de nature à conforter les pratiques déjà instaurées et la publication par le gouvernement d’un guide de bonnes pratiques pour la préparation des doses à administrer, à l’instar de celui proposé en 2017 par la Mission qualité et sécurité des activités pharmaceutiques et biologiques de l’Agence Régionale Provence-Alpes-Côte d’Azur[18] ou encore des Recommandations de bonnes pratiques émises par le Club des utilisateurs d’automates pour les formes orales sèches, s’imposent  plus que jamais.


[1]Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires

[2]Conseil d’État, 1ère – 6ème chambres réunies, 28 décembre 2017, 403810, Inédit au recueil Lebon

[3]Le décret portant sur l’alinéa 8 de l’article 38 de la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires de 2009

[4]Décret n° 2018-841 du 3 octobre 2018 relatif aux conseils et prestations pouvant être proposés par les pharmaciens d’officine dans le but de favoriser l’amélioration ou le maintien de l’état de santé des personnes

[5]Article L5125-1-1 A du code de la santé publique : « Dans les conditions définies par le présent code, les pharmaciens d’officine :

1° Contribuent aux soins de premier recours définis à l’article L. 1411-11 ;

2° Participent à la coopération entre professionnels de santé ;

3° Participent à la mission de service public de la permanence des soins ;

4° Concourent aux actions de veille et de protection sanitaire organisées par les autorités de santé ;

5° Peuvent participer à l’éducation thérapeutique et aux actions d’accompagnement de patients définies aux articles L. 1161-1 à L. 1161-5 ;

6° Peuvent assurer la fonction de pharmacien référent pour un établissement mentionné au 6° du I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles ayant souscrit la convention pluriannuelle visée au I de l’article L. 313-12 du même code qui ne dispose pas de pharmacie à usage intérieur ou qui n’est pas membre d’un groupement de coopération sanitaire gérant une pharmacie à usage intérieur ;

7° Peuvent, dans le cadre des coopérations prévues par l’article L. 4011-1 du présent code, être désignés comme correspondants au sein de l’équipe de soins par le patient. A ce titre, ils peuvent, à la demande du médecin ou avec son accord, renouveler périodiquement des traitements chroniques, ajuster, au besoin, leur posologie et effectuer des bilans de médications destinés à en optimiser les effets ;

8° Peuvent proposer des conseils et prestations destinés à favoriser l’amélioration ou le maintien de l’état de santé des personnes.

Un décret en Conseil d’Etat fixe les conditions d’application des 7° et 8° ».

[6]JORF n°0230 du 5 octobre 2018

[7]Lettre ouverte au Premier Ministre, Pharmacie d’officine : le décret « conseils et prestations » doit répondre aux nouveaux besoins des patients et des territoires, 03 juillet 2018.

[8]Circulaire n° 666 du 30 janvier 1986 relative à la mise en application des pratiques de bonne dispensation des médicaments en milieu hospitalier

[9]Décret n°2005-1023 du 24 août 2005 relatif au contrat de bon usage des médicaments et des produits et prestations mentionné à l’article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale

[10]Arrêté du 6 avril 2011 relatif au management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse et aux médicaments dans les établissements de santé

[11]Article R. 4235-48 du code de la santé publique : « Le pharmacien doit assurer dans son intégralité l’acte de dispensation du médicament, associant à sa délivrance :

1° L’analyse pharmaceutique de l’ordonnance médicale si elle existe ;

2° La préparation éventuelle des doses à administrer ;

3° La mise à disposition des informations et les conseils nécessaires au bon usage du médicament.

Il a un devoir particulier de conseil lorsqu’il est amené à délivrer un médicament qui ne requiert pas une prescription médicale.

Il doit, par des conseils appropriés et dans le domaine de ses compétences, participer au soutien apporté au patient ».

[12]Haute Autorité de Santé, Sécurisation et autoévaluation de l’administration des médicaments, Règle des 5B.

[13]Sous contrôle effectif du pharmacien

[14]A partir de la troisième année d’étude ; sous contrôle effectif du pharmacien.

[15]Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, 1762, Marc-Michel Rey, Amsterdam.

[16]Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux

[17]Loi n°98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux

[18]Mission qualité et sécurité des activités pharmaceutiques et biologiques, Agence Régionale de Santé Provence-Alpes-Côte d’Azur, Guide pour la préparation des doses à administrer (PDA) en Ehpad et autres établissements médico-sociaux, 2017